La table des matières
présente

Rêves
récurrents

Salvador Alanis
« Encore une fois, dans nos beaux habits de toreros, au centre de l’arène, capes en berne, nous considérons l’animal. Sa taille énorme, ses jambes puissantes nous rappellent la force de sa charge, la douleur infligée par ses cornes. Maintenant que j’y pense, j’étais davantage horrifié par l’idée du mouvement douloureux des cornes arrachant mes entrailles que par l’expectative de l’impact. Nous tous, toreros alignés, recevions la charge, subissions l’éventrement, attendions qu’une autre victime tombe, déchirée, pour prendre sa place, les yeux fermés, prêts pour l’assaut meurtrier du taureau, tour à tour, jusqu’à ce qu’il ne reste personne. Les toreros morts se relèvent pour reprendre leur place en ligne, dans une horrible douleur, prêts pour leur nouvelle punition. C’est à cela que je rêve soir après soir; parfois je m’éveille dans le noir, le corps à l’agonie, attendant que le taureau me rentre dedans à toute vitesse », dit Salvador. Le docteur l’observe, silencieusement. « Hmm. » Il le détaille d’un regard impassible. « Et qu’est-ce que vous associez à cette histoire? »
Mathieu Arsenault
Chez Lucrèce, l’atmosphère est surchargée d’images, et quand on dort il arrive qu’on se mette à en capter des résidus, et si un morceau d’image d’homme vient percuter un morceau d’image de cheval et que t’as le malheur de dormir juste en dessous du lieu de la collision, eh bien, tu rêves à un centaure. Moi, c’est bizarre, j’arrête pas de rêver que je lis et que je regarde des vidéos ces temps-ci, je pense que c’est à cause des routeurs sans fil de mes voisins.
Oana Avisilichioaei
Un paysage urbain à demi abandonné, avec une montagne loin en arrière-plan. L’horizon mélange des rouges, des jaunes et des bleus; la lave s’écoule aux flancs de la montagne en flots orangés. Une sensation d’urgence et d’effroi, mais aussi de beauté; la vue la tient, pour un instant, clouée sur place.
Nathalie Bachand
Fréquemment, Nathalie rêve d’un banquet festif où elle prépare une purée de pommes de terre – de pommes crues : Spartan, Empire, Idared. Apparaît alors sur la table un grand bol de purée blanche et neigeuse. Puis, au centre, une Empire restée rouge est aussi un cœur, organe vital au rythme régulier. Invariablement, Nathalie se réveille le cœur battant.
Christophe Bernard
Ma voix déforme les choses autour. Je parle, et c’est comme un morceau du plafond qui tomberait dans le bain. Ma conversation fait des cercles concentriques sur le papier peint. Que mes paroles creusent une cavité dans la masse des passants m’inquiète. Je ferme la bouche, mais ma tête se met à chanter.
Stephanie Bolster
Quand elle était petite, Stephanie Bolster rêvait souvent d’un espace aux allures de planétarium, sombre et crépitant d’électricité statique, dans lequel elle était minuscule. Maintenant elle rêve qu’elle apprend soudainement que, depuis des semaines ou des mois, elle ignorait qu’elle devait enseigner un cours. Et elle se sent minuscule, crépitant de partout.
Daniel Canty
Daniel Canty a souvent rêvé d’errer dans une ville méditerranéenne, un labyrinthe d’escaliers et de maisons entassées. Le soir est doux, et il n’y a personne. Il marche longtemps avant de parvenir à l’extrémité de la ville : une promenade sans rambarde, qui serpente à perte de vue le long de la mer. La marée est haute, le ciel est lourd, la tempête imminente. Des vagues violentes lapent les pierres de la digue. Un peu plus loin, devant Daniel, un cheval gris se cabre en hennissant, défiant l’horizon. C’est un de ses esprits familiers, et ils remontent ensemble à l’intérieur de la ville qui, malgré son abandon, allume toutes ses lampes.
J. R. Carpenter
Dans un rêve récurrent, J. R. Carpenter voit la marée baisser et continuer de baisser. Elle tente de la ramener au rivage, mais la corde lui glisse entre les mains. Ensuite, elle se retrouve sur le pont luisant d’entrailles d’un chalutier, à fixer l’océan calme et gris. Une colonne de bulles d’air bouillonne des profondeurs.
Angela Carr
Angela Carr rêve de plonger dans un lac glacial et de nager à travers le tunnel de son nom de famille, incertaine d’où elle refera surface.
Dessavage
Je suis mort-vivant. Je ne rêve pas puisque je ne dors pas. C’est impossible. Peut-être que j’oublie. Je me souviens quand même avoir cinq ans rêver souvent attendre sans dormir qu’on me morde et me prive d’un repos éternel.
Annie Descôteaux
Je me trouve dans ma banlieue natale et je marche. J’emprunte une rue habituelle, mais au tournant je découvre un embranchement inconnu malgré toutes ces années. Probablement ce que les promoteurs appellent un « nouveau développement ». Je m’y engage. S’y trouve une série de variations postmodernes de l’unifamiliale cossue qui m’enchantent et me ravissent au plus haut point.
Renée Gagnon
mon grand-père revient 13 ans après sa mort nous voir n’était donc pas mort juste parti découcher à Montréal curieusement, l’y ai jamais croisé son cancer miracle n’existe plus nous ne comprenons pas absolument rien
Éric Giraud
Nous sommes à l’intérieur d’un musée la nuit. Ils cassent des objets tout en criant et en bougeant de tous les côtés. Puis nous nous cachons à l’arrivée des gardes repérés au travers de la porte vitrée : des casquettes de gardes, des insignes de gardes. Je me retrouve avec un ami sur un siège qui glisse comme un télésiège, à l’intérieur du musée puis à l’extérieur, le paysage défile, la vitesse est rassurante. Puis soudain, tout s’accélère jusqu’au moment où l’on se dit que la vitesse devient anormalement dangereuse, que l’accident est probable. Je me retrouve alors seul accroché à une poignée sous le câble, et filant à très vive allure dans le couloir de verdure j’arrive au-dessus d’un gouffre d’un bleu pur et intense, très haut, en plein air, dans une impression d’immensité infinie, dans une absence de prise excepté celle de mes deux mains accrochées à cette poignée, qui semble ne tenir à rien, si haut en plein air qu’il est impossible d’apercevoir le sol plus bas. J’ai tellement peur, pensant que la chute est imminente, que je ne tiens plus à rien, que je décide que c’est un rêve et qu’il faut absolument se réveiller, et à la suite d’une très grande impulsion je me réveille.
Louis-Philippe Hébert
Le rêve de l’entonnoir. Combien de rêves traversés par cette même épouvante? L’indicible terreur de se coucher et de savoir que, peut-être, ce rêve récurrent va se produire à nouveau et emporter le rêveur. Toujours un début banal, l’entrée dans une pièce plutôt sombre, un vêtement trop serré qu’on essaie d’enfiler, une voiture de métro trop pleine, coincé contre les portes vitrées, un tunnel qui se crée, de plus en plus étroit, et, progressivement, l’étouffement!
Annie Lafleur
Une femme avale de la vitre fracassée. Elle tient le châssis vide comme un bout de papier. S’enfonce secrètement dans un fin torrent. Le verre fond dans son estomac, baigné de chlorure de fer. Il est gravé sur sa main droite : FeCl3. Une vapeur jaunâtre s’étend sur le paysage, aperçu par l’ajour liquide. Le thermomètre indique toujours 315 degrés Celsius.
Bertrand Laverdure
Je garde parfois les impressions et les sensations qu’instillent en moi quelques rêves à connotations érotiques. Par divers stratagèmes, je revisite la couche, le lit, la peau de deux ou trois de mes ex-blondes. Caresses et attouchements suivent habituellement une longue discussion pendant laquelle nous énumérons les malentendus qui ont provoqué la fin de notre relation. Réunion inattendue de corps absents, jouisseurs, pornographes.
Erín Moure
Dans le rêve, Erín est en vélo et descend la côte du parc sans nom à Arbour Lake pour visiter sa mère, mais elle n’arrive jamais, ce qui lui donne une sensation délicieuse de suspension du temps.
Marc-Antoine K. Phaneuf
Marc-Antoine K. Phaneuf n’a jamais fait de rêve récurrent, mais une fois il a rêvé qu’il roulait en Bigfoot dans la Bibliothèque des arts de l’UQAM et tuait tout le monde pour finalement être abattu par la seule survivante, avec un douze (ce sont les règles de l’art).
Patrick Poulin
Toujours des vagues de morts-vivants, des hordes qui obligent à des gestes de survie, à la manipulation d’AK-47 et à la razzia de centres commerciaux. Avec quelques amis, nous fabriquons toujours un véhicule, une arche de restes automobiles pour vivre un Mad Max revisité par Artaud. No shit.
N. S.
N. S. ne dort pas.
Mélisandre Schofield
Dans un terrain de stationnement, Mélisandre choisit une voiture. Elle se dépêche de quitter les lieux, pour éviter que la voiture ne devienne un jouet ou un brouillard. Les autoroutes qui s’étalent relient Brooklyn à l’Arctique, l’Est à l’Ouest. Elle se perd dans une géographie sombre et imaginaire qu’elle connaît par cœur.
Franz Schürch
Franz cauchemarde continuellement qu'il vole sans le vouloir, tout bas, à quelques mètres du sol, d’un vol saccadé et maladroit, qui le transporte à une vitesse moyenne en des lieux et parmi des gens habituels.
Charles Simic
De temps en temps, je rêve que je conduis dans une grande ville la nuit, complètement perdu et très angoissé de ne jamais retrouver mon chemin. Les rues sont mal éclairées, et je ne les reconnais pas et rien n’est ouvert à cette heure et il n’y a personne à qui demander des indications. Dans la version la plus effrayante de ce rêve je suis assis sur la banquette arrière et il n’y a personne au volant de l’auto en mouvement.
Simon St-Onge
Simon rêve que sa mère cloue des crabes au mur de sa chambre, tandis qu’un ours dans l’escalier le tient sous sa patte et picote sa paume avec un bâton de Popsicle.
François Turcot
Biographie rêvée. À sept heures sonnantes près du marché, l’aiguille d’un cadran pointe la main somnolente de François, prise entre un rêve et le bouton coincé de l’appareil. La dernière phrase rêvée ce matin contient trois mots – boîtier, ectoplasme et apparition – qui se retrouveront dans son prochain livre.
Pol Turgeon
Je suis jeune. Cinq ou six ans. Le rêve se déroule sur la rue en face de ma maison d’enfance. Une araignée géante arrive du bout de la rue en courant. Elle court droit vers moi. J’ai très très peur. Je veux me sauver. J’essaie de fuir, mais je n’arrive qu’à courir sur place.
Dauphin Vincent
Amorçant blême comme suit chaque nuitée en sueur, Dauphin s’éponge le front avant de sombrer. Leur venue l’effraie, et il ne dort depuis que d’un œil, la gorge étroite. Mais rien n’y fait. Aussitôt assoupi, chaque fois saisi, il cauchemarde, les nerfs paniqués, figé au lit. Car ils le maîtrisent et le soumettent à de froids instruments, outils complices de leurs désagréables manipulations. Il arrive que, malgré leur prévoyance, il les entrevoie : trois formes frêles à son chevet, la tête ovoïde, sans nez ni bouche, les yeux noirs immenses et sans paupières. Dauphin dans son crâne les entend qui s’affolent. Alors, une main se rapproche, le tâte et lui comprime l’artère au ras du cou, et le replonge en suspens dans l’oubli et le sommeil étroit. Là où, par lui-même, il ne peut offrir la moindre résistance ni se mouvoir. Tous les autres lieux sont des leurres. Ils sont trois à son chevet. Mais il les entend.
Jacob Wren
Jacob Wren rêve qu’il parle avec un étranger dans la rue. La conversation et l’étranger sont toujours différents. À un moment de la conversation, sans y penser, il utilise l’expression « so shoot me ». L’étranger sort un fusil et lui tire dans la poitrine.